Statut actuel : docteure en littérature comparée, première assistante en littérature comparée à l’Université de Lausanne (UNIL, CIEL) et membre associée de l’Université Marie et Louis Pasteur (CRIT).
Agrégée, qualifiée aux fonctions de maître⋅sse de conférences (sections 9 et 10 du CNU)
Membre de l'association des Ami·es de Monique Wittig et de l'Association Internationale des Études Québécoises.
Parcours professionnel antérieur :
Thèmes de recherche :
Projet de recherche en théorie littéraire et philosophie de la connaissance, d’orientation comparatiste, mobilisant également le long héritage critique attenant aux épistémologies féministes du « point de vue », du « standpoint » et des « savoirs situés ». À partir de l’analyse comparée de corpus appartenant aux francophonies du Nord (France, Québec, Belgique, Suisse, Luxembourg), à des francophonies du Sud (Antilles, Cameroun, Sénégal, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Haïti, Mali, etc.), mais aussi à des littératures constituant des seuils de la francophonie (autochtones, algériennes, vietnamiennes, en particulier), il s’agit d’explorer les renouveaux épistémologiques proposés par des écrivaines engagées dans la cause des femmes, jusqu’au tournant du XXIe siècle, par le moyen de la littérature et en dialogue avec la critique menée dans d’autres disciplines scientifiques (notamment l’histoire, l'histoire de l'art et la philosophie).
Cette thèse prend pour objet d’examiner, à l’aune de la notion d’engagement littéraire, les pensées et pratiques politiques de la littérature que mettent en œuvre les écrivaines de la cause des femmes, en France et au Québec, entre 1969 et 1985. Elle s’intéresse à un vaste corpus d’autrices parmi lesquelles l’étude privilégie, au Québec, Nicole Brossard, France Théoret, Louky Bersianik et Madeleine Gagnon, et en France Monique Wittig, Hélène Cixous, Françoise d’Eaubonne et Christiane Rochefort. En héritières de théories qui les précèdent et les accompagnent ces écrivaines réactivent la dimension d’abord éthique et critique de l’engagement, s’opposant au principe autoritaire des écritures « à thèse ». Elles renouvellent de diverses manières la notion de situation, centrale dans la pensée de Jean-Paul Sartre autant que dans celle de Simone de Beauvoir, et forgent un certain nombre de concepts placés au croisement du politique, de l’épistémologique et du poétique – en reproblématisant notamment les notions de sujet, d’action et de reconnaissance, d’histoire, concepts-clés de l’engagement littéraire canonique. Interrogeant l’identité « femme » qui décrit leur position dans l’espace social et littéraire, ces écrivaines élaborent aussi depuis leur point de vue spécifique le concept de « genre ». Elles déploient et réorientent les oppositions articulées à leur époque entre engagement et avant-gardes, les disqualifient souvent, les pensent en fonction d’imaginaires utopistes mi-pragmatiques mi-idéalistes ; elles interrogent la place que peuvent occuper la violence et l’insolence dans des politiques littéraires inédites, dont les esthétiques de rupture sont aussi largement des projets de fondation et de lien noué entre femmes – par là, elles scrutent aussi la dimension de leurs œuvres que l’on dit parfois « illisible » et contestent ce reproche, le renversant en gage de dialogue avec l’histoire littéraire de la modernité.
Des textes littéraires, de l’Antiquité à nos jours, en et hors d’Europe, pour mettre en situation des sujets situés comme « minoritaires », produisent des reconfigurations des instances énonciatives traditionnelles : pourquoi proposent-ils des modes d’énonciation qui leur sont alternatifs ? Comment contredisent-ils les formes « majoritaires » de définition du sujet ? Quelles relations les auteur⋅ices établissent-iels entre les notions de sujet, d’identité, d’énonciation ?
La visibilisation des autrices ou des femmes artistes se fait aujourd’hui dans le cadre d’un renouvellement important de la pensée et du mouvement féministes, médié par des initiatives éditoriales, journalistiques, institutionnelles et/ou militantes. La « redécouverte » contemporaine d’autrices et d’artistes est prise dans un contexte spécifique, traversé à la fois par la volonté de sortir certaines figures de l’ombre et par l’apparente nécessité de les mettre en cohérence avec les discours dominant la pensée féministe contemporaine. Cette tentation, qui procède parfois d’un sentiment d’urgence, peut être interrogée.
Le maniement de grands, voire de très grands corpus de textes, constitue à la fois une pratique de recherche courante en littérature comparée, voire de plus en plus constitutive, et un lieu de persistantes questions. Le numéro appelle des réflexions sur ce qu’on peut nommer « grands corpus » (par rapport aux « littératures mondiales », ou aux enjeux des close et distant readings), sur les politiques de recherche qu’elles accompagnent, comme sur les outils d’analyse et techniques qui leur sont nécessaires.
Qu’est-ce que la littérature féministe ? Ni un style (de colère, d’accusation, d’ironie…), ni un thème (la dénonciation des violences faites aux femmes, l’utopie d’un monde meilleur), ni plus l’expression d’une identité sociale (« femme » ou « lesbienne », notions mouvantes). La littérature féministe – puisqu’on pastiche Sartre ici, gardons temporairement le singulier –, se laisse définir par un geste multiple : celui de l’engagement. Engagement de la littérature dans la cause politique des femmes ; engagement dans la littérature de femmes militant pour leur propre cause ; engagement à travers et envers la littérature.
L’ouvrage propose une exploration de l’utopie au prisme de son « désordre » : il est centré sur ses interprétations révolutionnaires, ainsi que sur une réflexion esthétique – interdisciplinaire – portant sur sa force de (dé)structuration générique. Bien que le modèle classique de l’utopie tel que développé par et à partir de Thomas More reste prégnant dans les imaginaires utopistes, de nouvelles visions émergent à partir du XIXe siècle et, avec elles, de nouveaux acteurs, qui interrogent ensemble les notions de désordre, d’anarchie, de révolution et d’utopie.
Historien·nes de l’art, de la littérature, artistes, sociologues et spécialistes des sciences de l’information et de la communication s’interrogent sur la possible conceptualisation, pour interroger spécialement l’histoire des femmes, de la notion de « constellations ». Cette démarche conduit à questionner certains grands mythes de la création : ceux de l’héritage et de la postérité, du panthéon ou du canon, du centre et de la marge, de l’objectivité, de la valeur, du pouvoir de l’art et de la littérature sur la société. Il s’agit doublement d’imaginer et formaliser un outil critique, et de réfléchir à ce que signifie ce geste-même.
Cet ouvrage de synthèse retrace l’histoire et la théorie de la littérature lesbienne française depuis le début du XXe siècle jusqu’à nos jours. Depuis 1900, des années folles à l’après-guerre, de l’histoire militante des années 1970 à la naissance de l’édition spécialisée, jusqu’à l’effervescence du début du XXIe siècle, ce sont des centaines de textes qui disent et théorisent leur existence. Parcourant tous les genres, ils mettent en scène le lesbianisme, nomment et nourrissent une culture partagée, en réactivent la mémoire et les noms. Ce dialogue historique intègre et modifie le cadre de la littérature.
Après avoir été centrale dans les discours de Sartre et de Brecht, dans les pensées de Marx, de Jaspers, de Debord ou encore de Bourdieu, la notion de « situation » fait retour aujourd’hui, chargée de nouvelles références théoriques et politiques, notamment dans le cadre des études féministes et postcoloniales (Harding, Hartsock, Hill Collins, Haraway, Saïd, Spivak, hooks ou encore Stengers, etc.). Ces travaux nous poussent à « situer » nos productions « théoriques ». On peut repenser la théorie littéraire, ses catégories, ses démarches comme ses cadres de production, avec certains de ces outils.
Sont mises en avant les publications qui sont à mon sens les plus importantes.
Cet article veut être une contribution à la réflexion sur la place des études de genre dans le champ de l’épistémocritique. Chez Christiane Rochefort et Jocelyne François, la littérature est présentée comme le lieu d’une investigation d’ordre épistémologique, située en l’occurrence par la mise en question de la bisexualité. Elles articulent une pensée de cette situation sociale spécifique, dans différents textes relevant du récit de soi, à une réflexion d’ordre féministe sur ce que signifie être femme, comme à une réflexion sur ce qui lie écriture et savoir en littérature.
Le canon : objet à la fois offensif et défensif, en face duquel on se positionne ou que l’on braque contre une position ennemie ; machine d’usage statique, néanmoins aussi foncièrement dynamique – mobile parfois, projectile toujours. Ce chapitre, consacré à un examen du sort que les écrivaines féministes franco-québécoises des années 1969-1985 font à la notion de canon – l’exposant comme l’arme littéraire des minoritaires, dirigée contre le canon des majoritaires –, propose de revenir à la première origine du kânon (le roseau, le cylindre) pour en déployer la dérivation lexicale et rhétorique martiale.
Les écrivaines francophones de la cause des femmes, au cours des années 1970-1980, ont travaillé, en théoriciennes de la littérature, une notion de « regard » proche de celle, anglophone, de « gaze », mais dont les significations sont plus immédiatement concrètes, voire plus matérialistes, parce qu’elles parlent directement des corps et des rapports de pouvoir qui les lient. En six temps, l’article fait ainsi le point sur ces congruences et différences qui font du regard une notion foncièrement esthétique, c’est-à-dire travaillant ensemble questions les épistémologiques et politiques du féminisme, et questions littéraires.
Rédigé en anglais. La notion d’intertextualité est au cœur du travail mené par Monique Wittig, Michèle Causse et Maryvonne Lapouge-Pettorelli, Jovette Marchessault, Nicole Brossard et Marie-Claire Blais, lorsqu’elles forgent le lesbianisme comme catégorie d’histoire littéraire. Le concept d’intertextualité est nommé et travaillé : comme continuum et continuité, comme communauté d’écriture, comme enjeu de reconnaissance spécifique ; il est mythifié comme une constellation, un continent, une mémoire des textes. Au-delà, il devient même une forme d’utopie.
En 2010, Hélène Cixous nomme Méduse « Une queer […], la queen des queers. » Cet article propose un examen critique de cette idée, problématisé à partir du concept de bisexualité. La bisexualité est comprise chez Cixous comme un concept complexe et multiple, à la fois érotique, identitaire, philosophique, politique et littéraire. Il est orienté par des partis pris différentialistes, tout en étant foncièrement anti-normatif ; il se place (tout) contre les engagements féministes et lesbiens de son époque, témoignant à sa manière d’une tension qui a constitué une partie de l’histoire des théories queers.
« Ce que le monde social a fait, le monde social peut, armé de ce savoir, le défaire » écrivait Bourdieu. Encore faut-il, pour ce faire, rendre perceptible « ce que le monde social a fait », et comment. C’est le mandat que semblent se donner nombre d’écrivaines du nord durant les années 1970, notamment la Québécoise Louky Bersianik et la Norvégienne Gerd Brantenberg, dans des œuvres phares du mouvement féministe. L’article relève quelques stratégies d’étrangéification et de distanciation qu’utilisent les autrices pour révéler les soubassements politiques des mondes qu’elles décrivent.
L’exil, dans l’œuvre de Maryvonne Lapouge-Pettorelli, évoque différents éléments : l’aliénation à soi-même, motif structurant de son premier journal ; l’exil de soi, puis de l’hétérosexualité, puis aussi de la France et de l’Europe, de la langue maternelle, dans le second volume. Une figure dynamique synthétise ces différents états de l’exil, celle de la « déflagration ». Au travers de l’analyse de trois occurrences du motif (signifiant soumission, réversibilité, remembrement), l’article montre comment elles problématisent ensemble le rapport à l’écriture et à l’exil.
Qu’est-ce qui fait littérature dans l’œuvre éclatée, disparate, exubérante et irrévérencieuse, si nonchalante, de Françoise d’Eaubonne ? Comment affirmer la valeur littéraire de ses textes, quand ils sont, de l’aveu même de l’autrice, si fouillis, parfois trop longs, souvent hors normes ? L’œuvre de Françoise d’Eaubonne est souvent pensée et présentée comme appartenant à une littérature mineure ; ce classement peut être contesté en raison de différents critères historiques, notamment celui de son inscription dans une généalogie littéraire et théorique de terreur.
En France, au Québec, en Belgique, en Suisse, au cours des années 1970-1980, des écrivaines réfléchissent à ce que sont les « politiques des sexes ». Le féminisme ne peut se passer de la politique de gouvernement : il en exige des réformes. En même temps, il en conteste l’étroitesse éthique et pragmatique. Il faut donc redéfinir le politique : en réagencer les zones à défendre, repenser les stratégies d’investissement qui peuvent concrètement concerner les femmes. La littérature joue là le rôle d’un laboratoire d’expression et de promotion d’anarchismes, mieux ou plus politiques que « la » politique.
L’œuvre de Françoise d’Eaubonne témoigne d’un goût pour la manipulation des catégories génériques du travail littéraire. En partie parce qu’elle est contrainte de développer ce goût pour pouvoir publier, en partie parce qu’elle y trouve des ressources originales pour affirmer sa compétence d’écrivaine, l’autrice joue avec les imaginaires du genre. L’article analyse ainsi l’œuvre d’eaubonnienne à l’aune des jeux de posture auctoriale qu’elle met en scène, par le genre littéraire, au cours des années 1970.
Dans les années 1969-1985, alors que les mouvements de libération des femmes, puis ceux qui luttent pour les droits des personnes homosexuelles, battent leur plein aux États-Unis, au Canada, en Europe occidentale, l’espace culturel franco-québécois connaît un moment particulier de collaboration littéraire transatlantique. Ces années-là, un réseau d’écriture et de recherche féministe se met en place entre les francophonies, dont la France et le Québec forment les pôles les plus actifs : on peut parler d’un engagement commun, bien qu’il prenne des formes sensiblement différentes de part et d’autre de l’Atlantique.
Note. Cet article est majoritairement issu de l’introduction de ma thèse, il fait suite à l’attribution du prix de thèse 2024 de l’AFEC, pour présenter mon travail aux membres de l’association.
Dans le contexte féministe, la notion de sororité renvoie à une condition partagée – « sœurs de viols » –, elle est aussi le synonyme du terme « camarade ». Mobilisée, problématisée, tour à tour fantasmée et rejetée, la sororité devient également un « nouveau style » et, surtout, un moyen de penser l’espace littéraire « entre femmes ». La « petite sœur » de littérature fait ainsi son apparition aux côtés de la « sœur » de lutte. Loin d’être utilisés naïvement, ces termes font l’objet de méfiances autant que d’espoirs.
Dans Québécoises deboutte! (1971-1974), revue de premier plan au Québec lors de la seconde vague du féminisme, des femmes manifestent : leur mouvement, instable et éclectique, fait politique. Pour elles, l’Un est le propre du patriarcat : un manifeste est impossible et ce sont une revue, des numéros, qui leur permettent de manifester leur lutte. Multiplication des voix, variété des techniques et méthodes qu’elles mobilisent pour investiguer et déstabiliser le genre, détails des marges, des encarts ou des choix typographiques, déstabilisent et fissurent le discours patriarcal.
L’histoire de l’engagement littéraire, vieille problématique de l’histoire française, a été écrite de telle manière qu’elle esquive la plupart du temps le moment des années 1970. Les écrivaines féministes ont pourtant, à l’époque, repris et transformé les traditions de l’engagement. Leur ellipse est frappante, d’autant plus qu’à l’endroit même où butent les théories francophones de l’engagement, d’autres théories de la littérature – celles du genre – prennent leur élan. Dans ces feux croisés, le moment des années 1969-1985 est ainsi celui d’un embranchement phylogénétique : nœud structurant d’une histoire critique.
Note. Cet article reprend les principales conclusions de ma thèse : il a joué le rôle de présentation de mon travail au moment où je venais de soutenir.
Cet article relit les premiers romans de Christiane Rochefort à partir d’un questionnement sur l’évolution ultérieure, carnavalesque, de son travail littéraire. Dès le commencement, Rochefort travaille en fait avec les « partages du lisible ». Elle joue d’abord avec l’inédit, brisant, sur un plan moral, des censures de longue date. Joyeuse, comique, satirique, elle s’engage dans l’histoire politique de la littérature. Sa mise en cause du lisible, encore embryonnaire dans ses premiers romans, est ainsi le moyen d’un passage de l’éthique au politique.
Entre 1975 et 1980 s’opèrent, en même temps, dans l’œuvre d’eaubonnienne, une littérarisation du sujet politique de la violence politique, et le développement d’une « impulsion utopiste » donnée à l’écriture : l’utopie, chez Françoise d’Eaubonne, est apocalyptique et terroriste. Il est ainsi possible de définir une « utopie du désordre ». Ni vraiment utopiste, ni vraiment dystopiste, ouvrant une réflexion de fond sur l’avenir de l’humanité et sur le rôle qu’y occupent texte, langage et espoir critique, l’écriture de Françoise d’Eaubonne commet un geste illuminé et désordonné : en littérature, elle fait désordre.
Pour les rédactrices des Têtes de pioche, entre 1976 et 1978, engager sa subjectivité consiste à raconter son expérience, parce que l’expérience vécue en commun produit une forme de savoir sur la société. Elles articulent ainsi mouvements et identités à la fois situées, subjectives et collectives. Toutefois, la fin des Têtes de pioche est marquée par des conflits qui révèlent la difficulté inhérente à ces partis pris militants : les « subjectivités engagées » se prennent, parfois, à leur propre piège.
Cet article mène une analyse croisée du roman de Monique Wittig Virgile, non (1985, réécriture de la Divine comédie de Dante) et de l’essai d’Herbert Marcuse L’Homme unidimensionnel (1964, traduit par l’autrice en 1968), révélant ainsi l’influence majeure que celui-ci a pu jouer dans l’imaginaire littéraire et dans la politique « matérialiste » de l’autrice. Dans Virgile, non, la littérature place son ambition dans la quête de sens universels, abstraits et en même temps « réels » : « réels » au sens marcusien, c’est-à-dire plus réels, plus denses de sens que ce que proposent les circonstances de la vie quotidienne.
Cet article propose une analyse de l’anomalie littéraire telle qu’elle se manifeste dans trois textes publiés au début de la décennie 1970 en France et au Québec. L’anomalie y est à la fois thème de l’écriture et manifestation formelle de l’interrogation qu’elle suscite. Chez les trois autrices (Christiane Rochefort, Monique Wittig, Josée Yvon), la mise en scène permanente d’une subversion morale et littéraire empêchent le sens de s’installer, l’idéologie de couver, et l’écriture s’ouvre ainsi à de nouveaux possibles révolutionnaires.
Les écrivaines féministes des années 1970 manifestent explicitement un rejet de « la théorie », qu’elles jugent propre à une forme d’exercice du pouvoir masculin, et dont elles souhaitent s’extraire. En même temps, leur refus s’élabore paradoxalement sur une forme de théorisation. Cet article montre comment Wittig et Cixous interrogent la notion de « point de vue », celle de « féminin » et de « particulier » : le rejet virulent de la théorie suscite en fait la formation de nouvelles pratiques littéraires et de nouvelles épistémologies.
L’article interroge la manière dont l’intime se construit ou est évacué des récits de Louky Bersianik et France Théoret, en raison de sa place problématique dans le questionnement féministe. Louky Bersianik met l’accent sur ce qu’il y a de politique dans le privé, en développant une écriture satirique et didactique. France Théoret, au contraire, souligne ce qu’il y a de privé dans le politique, en faisant voir que le politique tire son sens de ses situations, prend ancrage dans l’analyse du privé et du particulier.
Dans la lignée des travaux de Milena Santoro, cet article étudie la manière dont la littérature féministe québécoise s’est constituée, dans les années 1970, en relation avec les productions théoriques et littéraires françaises et américaines. Les Québécoises voyagent aux États-Unis ; elles lisent Kate Millett, Shulamith Firestone, Betty Friedan ; mais le rapport d’influence avec les États-uniennes est unilatéral. En revanche, au même moment, se mettent en place de véritables échanges entre féministes françaises et québécoises.
Litote est un logiciel de gestion de corpus de textes que j’ai développé pour accompagner ma thèse, à partir de 2018. Son interface graphique, disponible en ligne et codée en PHP, est associée à une base de données MySQL ; elle a en partie servi de répertoire pour les annexes de la thèse, grâce au service d’hébergement mutualisé spécialisé pour la recherche en humanités numériques que propose HumaNum. Le code du logiciel est mis à libre disposition sur son dépôt GitLab, et officiellement rattaché à mes publications en tant que chercheuse grâce à son référencement sur Software Heritage, qui fait le lien avec ma page HAL (il constitue ainsi en soi un « texte » publié en humanités numériques). La version en ligne est une démonstration publique : cela signifie que des dispositions légales ont été prises pour préserver les principes du droit d’auteur, et que chaque page contient des indications sur la manière dont elle peut être utilisée.
Le but de cette application est de stocker, référencer et organiser des citations extraites des œuvres d’un corpus, pour faciliter leur manipulation et leur mise en relation multiple ; Litote est aussi un logiciel d’aide à la rédaction (référencement, classement, gestion de brouillons). Litote est ainsi conçue pour les besoins d’une recherche universitaire en littérature (mémoire, thèse, HDR, ou plus générale) ; mais son principe étant déclinable à l’envi, elle est adaptable à d’autres disciplines.
Le nom « Litote » a été choisi parce qu’il permet de dire le va-et-vient entre grand et petit, analyse macro et micro, précisément ce lien malaisé qu’on cherche à bâtir en littérature comparée, en équilibristes ; c’est aussi le nom d’une des servantes de la reine Avanie dans Archaos de Christiane Rochefort, une œuvre centrale de ma thèse.
Cette traduction restitue en français la préface que la poétesse et enseignante Sara Torres a donné à la réédition espagnole du Brouillon pour un dictionnaire des amantes de Monique Wittig et Sande Zeig, en 2023.
Dans un texte paru dans la revue Feminist Issues en 1985, Sande Zeig propose une réflexion sur le rôle que jouent les gestes, leur mise en scène du corps, leur signification matérielle et politique, quant à l’identification de cultures et identités lesbiennes. Ce texte fait partie des éléments de réflexion qui ont joué un rôle important dans l’élaboration des poétiques de Monique Wittig, notamment théâtrales, et sa traduction inédite apporte ainsi un élément d’analyse d’importance majeure au champ des études wittigiennes.
Dans un chapitre consacré au travail de diversité mené dans les universités du Royaume-Uni, Sara Ahmed s’intéresse aux pratiques citationnelles d’usage en recherche. Discuter de pratiques citationnelles n’invite pas seulement à analyser des usages discursifs, mais également des habitudes relationnelles et collégiales. Sara Ahmed élucide certains des mécanismes, spécifiques au monde universitaire, qui organisent les héritages, les généalogies et les accointances scientifiques.
Présentation du parcours de chercheuse d’Isabelle Boisclair. Pour étudier ce que pourrait permettre d'élaborer un concept critique de « constellations » dans le champ des études de genre, il faut tracer celles que constituent les recherches en études de genre elles-mêmes : elles représentent la base matérielle et institutionnelle des réflexions.
Xavière Gauthier, pionnière du Mouvement de Libération des Femmes français, directrice de la revue Sorcières pendant les années 1970, était l’invitée du colloque « Poé(li)tique de la prise de parole des femmes ». Entretien restitué par Khadija Benfarah.
La Littérature engagée, ouvrage que Sylvie Servoise vient de publier dans la collection « Que sais-je ? », se présente comme une synthèse, mi-essai théorique mi-manuel, de l’histoire de la notion d’engagement littéraire. Portant essentiellement sur le domaine français, elle ouvre les chronologies habituelles de l’engagement pour revisiter toute l’histoire littéraire française depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours, et ainsi réexaminer la généalogie d’une réflexion globale sur ce qu’est la littérature, et sur la manière dont s’y forment des mythologies critiques.
Compte rendu de Sylvie Servoise, La Littérature engagée, Paris, PUF, 2023.
La Terreur dans la France littéraire des années 1950 s’offre comme un ambitieux parcours de l’histoire littéraire du XXe siècle français, problématisé par la question du mal et par l’alternance d'élans terroristes et rhétoriques dans la recherche de redéfinition de la valeur historique de la littérature. Elle dresse ainsi, progressivement, « une filiation nette d’écritures terroristes », toujours questionnées par rapport à leurs incohérences et leurs instabilités, interrogées par rapport à ce qu’elles impliquent de besoin de rhétorique et de lieu commun.
Compte rendu de Perrine Coudurier, La Terreur dans la France littéraire des années 1950 (1945‑1962), Paris, Classiques Garnier, 2021.
Le Complexe de Diane est l’un des premiers ouvrages publiés par Françoise d’Eaubonne : édité en 1951, il réagit à la publication du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. La réédition souligne le rôle fondateur de ce texte au sein de l’œuvre de Françoise d’Eaubonne : on y lit ses premières conceptions à la fois du féminisme, de ses liens avec le marxisme et avec l’existentialisme sartrien. La réédition permet aussi de voir comment l’œuvre de Françoise d’Eaubonne s’ancre, dès 1951, dans les régimes de « terreur littéraire » propres à l’histoire moderniste du siècle.
Compte-rendu de la réédition du Complexe de Diane de Françoise d’Eaubonne (1951), Paris, Julliard, 2021.
La recension revient sur les différentes définitions, caractérisations et référencements bibliographiques du concept de « queerness » qui sont proposées dans cet ouvrage principalement littéraire. Elle ébauche aussi quelques hypothèses de recherche : le queer, comme les constellations, sont des notions qui permettent de « se réapproprier, recoder, redéployer » le sens des œuvres et des relations qu’elles entretiennent.
Compte-rendu de Isabelle Boisclair, Guillaume Poirier Girard, Pierre-Luc Landry (dir.), QuébeQueer : Le queer dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2020.
À travers l’analyse détaillée et successive d’une douzaine d’œuvres littéraires du XXe siècle français, Jeanyves Guérin entreprend de détourner le regard critique de la notion de « littérature engagée » vers la notion, supposément plus souple, d’une « littérature du politique ». L’auteur s’oppose à une critique universitaire qui, adoptant pour elle‑même les principes de certain·es des théoricien·nes phares de l’engagement – Jean‑Paul Sartre et Simone de Beauvoir –, fonderait ses analyses et jugements littéraires sur des valeurs essentiellement idéologiques, voire militantes.
Compte-rendu de Jeanyves Guérin, Littérature du politique au XXe siècle : de Paul Claudel à Jules Roy, Paris, Honoré Champion, 2020.
Serena Cello présente quelques questions que pose l’étude de « la littérature des banlieues » à l’histoire des théories françaises de l’engagement littéraire. Elle s’interroge sur les rapports qu’entretiennent les études de lettres françaises avec d’autres disciplines de sciences humaines, telles que l’analyse du discours, la sociologie, ou encore la linguistique.
Compte-rendu de Serena Cello, La Littérature des banlieues. Un engagement littéraire contemporain, Rome, Aracne editrice, 2019.
Dans Living a Feminist Life, Sara Ahmed s’interroge sur ce qu’est « la théorie féministe ». Théoriser en féministe, pour Ahmed, est inséparable du fait de vivre en tant que féministe : quotidiennement, pragmatiquement. Mais théoriser en féministe est aussi une question universitaire : l’autrice réfléchit à la manière dont l’université, à la fois en tant qu’employeuse et en tant qu’institution culturelle, prend en charge les questions de « diversité ».
Compte-rendu de Sara Ahmed, Living a Feminist Life, Durham et Londres, Duke University Press, 2017.
Dernier venu d’une série d’ouvrages rennais portant sur les rapports entre littérature et politique, ce volume se concentre sur les potentialités et les forces de la littérature et de la critique qui en parle : il s’agit de revenir en détail sur l’usage des termes qui ont permis, jadis (engagement, autorité, exemplarité) ou plus récemment (empowerment, agentivité...), d’interroger les pouvoirs de la littérature.
Compte-rendu de Emmanuel Bouju, Yolaine Parisot, Charline Pluvinet (dir.), Pouvoir de la littérature. De l’energeia à l’empowerment, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2019.
Coordination d’un dossier Monique Wittig (« Wittig, canon braqué », « La grande vague », « Wittig, on Wittig : entretien avec Sandra Daroczi »)
Parler de Monique Wittig en 2024, c’est se trouver souvent dans une drôle de position convenue, défensive, offensive, et lasse tout à la fois. Wittig est partout : dans la bouche des personnalités de gauche qui portent une parole engagée à la radio, au théâtre, au cinéma, dans les médias littéraires, sur les pancartes des manifs, dans les copies des étudiant·es. Elle est devenue un repère politique, un signe distinctif, parmi d’autres, d’engagement radical à gauche. Être de la team Wittig, c’est un peu comme être de la team Despentes ou Haenel. Comparables colère révolutionnaire, refus des compromis, fierté de reconnaissance féministe – l’utopie en plus, peut-être.
De Vlasta (ou Wlasta), « amazone de Bohême », il n’est pas très souvent question dans les dictionnaires des noms propres ou encyclopédies des mythes. Son histoire, pourtant, a fait couler beaucoup d’encre depuis le Moyen-Âge. Les Romantiques ont adoré Vlasta : ils lui ont accordé opéras, feuilletons, colonnes de journaux ; figure de la révolte féminine, elle est pourtant tombée en disgrâce ensuite. On a dit d’elle qu’elle était une amazone, une guerrière, une sorcière, une buveuse de sang ; qu’elle était cruelle, qu’elle était le type même d’un « féminisme sectaire » ; on l’a comparée à une vampire, on a dit qu’elle avait fantasmé de devenir, avec ses compagnes, la maîtresse absolue des hommes.
L’histoire lesbienne perturbe les canons établis, les normes narratives, les codes de la langue : au-delà de son point d’ancrage social, amoureux, politique ou philosophique – selon l’angle par lequel on préfère aborder le sujet du lesbianisme – elle interroge profondément l’objet littéraire et ses définitions.
Un point de vue féministe consiste à renverser la question : que devient-elle si on déplace le regard vers les femmes, si on pose une question de « genre » ? Faut-il dissocier l'œuvre de l'autrice ?
En tant que « femme » une écrivaine écrit dans des conditions matérielles précises, qui déterminent en partie l’œuvre qu’elle produit ; en tant que « femme », il y a des chances qu’elle soit lue et reçue de manière particulière. Les femmes qui créent sont toujours autant « artistes » que « femmes », de manière inséparable (comme leurs collègues masculins sont aussi à peu près inséparablement « artistes » et « hommes »).
Quelques pistes pour mieux connaître la littérature lesbienne : ses autrices, son histoire, ses théories.
Exemple d’un récit de viol important en 1970, qui a contribué à l’éclosion du Mouvement de Libération des Femmes en France. En juillet, sort en kiosques un numéro de Partisans, en gros titre « Libération des femmes : année zéro ». Suite à sa publication, les Françaises unissent leurs révoltes personnelles et entament ensemble les grandes luttes féministes des années 1970.
Le titre de l’événement se veut provocateur. D’une part, il s’agit d’établir un constat : il existe des liens historiques, voire fondateurs, entre la discipline littéraire et les études de genre, et ceux-ci sont souvent créés à partir d’une démarche comparatiste. D’autre part, il s’agit de questionner l’habitude qui semble avoir été prise peu à peu, en domaine littéraire et peut-être particulièrement dans le contexte français, d’assimiler les terrains du genre et ceux de la comparée. Des différences entre traditions universitaires nationales sont à interroger.
Explorer « la couleur des émotions » : au travers d’une expression devenue un relatif lieu commun, cette journée d’étude pointe le besoin de travailler sur l’histoire et le sens des couleurs en littérature. Le projet se situe dans le prolongement de nombreux travaux, et entre en convergence avec une réflexion sur l’emotional turn, courant de recherche qui continue de mettre en scène sa propre émergence.
L’enjeu de ce colloque est d’explorer les conditions et enjeux de l’énonciation au « je » dans des littératures dites minoritaires. Comment certaines postures minoritaires, s’énonçant, induisent-elles une forme de noyautage des instances narratives et poétiques ? Celui-ci peut prendre la forme de réappropriations ou de resignifications, ou bien travailler à dissoudre une énonciation perçue comme monocentrée. Il démantèle ainsi, dans de nombreuses traditions littéraires, la possibilité-même d’interpréter la grammaire du « je » comme celle d’une potentialité « universelle ».
Un contexte spécifique traversé à la fois par la volonté de sortir certaines figures de l’ombre, et par l’apparente nécessité de les mettre en cohérence avec les discours dominants de la pensée féministe contemporaine, pose parfois problème. Nous nous intéressons aux tensions et torsions parfois imposées aux textes, liées aux contradictions méthodologiques et pratiques propres à l’histoire des études de genre, comme à celle de leur position dans le champ universitaire et social.
L’objectif de cette journée d’étude était de réfléchir aux enjeux complexes et parfois contradictoires spécifiquement liés à la réception – et à la fabrication de la réception – des œuvres littéraires de femmes. Entre besoins de « redécouvertes » et risques de ré-invisibilisation qui y sont associés, entre enjeux d’actualité eux-mêmes multiples et nécessité de maintenir une approche rigoureusement historique... la réception des œuvres littéraires, au prisme du genre, est une question infiniment problématique, peut-être particulièrement urgente.
Travailler sur les œuvres d’écrivain⋅es ou d’artistes marginalisé⋅es en termes de genre n’est pas, en soi, « faire des études de genre ». Mais travailler sur ces figures de manière monographique – situation résultant de sains partis pris, notamment d’un refus d’essentialiser ou de tomber dans le cliché des « œuvres de femmes » – tend à empêcher le dialogue avec l’historiographie littéraire traditionnelle. Le colloque s’attachait à ce double problème, en prenant pour point de départ une idée de « constellations » : concept désignant une forme spécifique de « révision » des généalogies canoniques.
Colloque inaugural du groupe de recherche pluridisciplinaire Les Jaseuses, consacrée à la question de la prise de parole politique des « femmes », en domaines littéraires et artistiques : enjeux, formes, contraintes, tonalités et modalités, à partir de l’interrogation de la catégorie même « femmes ». Il s’agit de s’interroger sur la manière dont la politique se forme : comment se lie-t-elle à la poétique, au processus de création ? Quels liens entretient-elle avec l’esthétique ?
Colloque fondateur de Philomel, « Le genre manifeste » prenait pour point de départ réflexif une double interrogation sur les « manifestations du genre ». D’une part, où et comment se manifeste-t-il ? Ce qui se manifeste est en principe ce qui est « palpable », tangible et apparemment aisément compréhensible. D’autre part, la forme « manifeste » de nombre d’affirmations de genre pose question : acte et discours, elle est un objet qui, au travers d’une idée de rupture, donne à voir, performe, rend tangible des questions souvent, d’ordinaire, vouées au cryptage, à la dissimulation, ou à la discrétion imposée.
Le séminaire est principalement destiné à accompagner et fédérer les différents travaux de recherche et de traduction qui sont actuellement en cours sur et autour de l’œuvre de Monique Wittig. Il est organisé selon le principe d’un roulement entre conférences, ateliers de traduction et ateliers travaux en cours.
Depuis les dernières décennies du XXe siècle, les questions de genre ont trouvé droit de cité au sein de la recherche littéraire. Droit de cité fragile, discuté, contesté, pour autant tangible, il a permis à un certain nombre d’histoires, de critiques et de théories littéraires d’éclore dans le champ universitaire. En 2023-2025, et en dépit d’une illusion d’omniprésence, c’est toujours cependant « à l’oblique » que s’élaborent une grande partie de ces travaux : dans l’ambiguïté d’un rapport à la fois affirmatif, provocateur et conflictuel aux institutions, catégories et axiologies desquelles ils dépendent.
Pour l’occasion des cinquante ans de la parution du Corps lesbien, également commémoration des vingt ans de la disparition de Monique Wittig, les Ami·es de Monique Wittig ont lancé un appel à projets scientifiques, artistiques et médiatiques, s’engageant à relayer et mettre en réseau des personnes et des activités organisées à travers le monde.
Le trait interpellatif des littératures de la cause des femmes des années 1970 implique un risque spécifique, à la fois en raison de la nature de ce qu’elles dénoncent et en raison du public auquel elles s’adressent : comment, en discutant de l’expérience intime de la violence, s’engager sans risquer d’aller trop loin, et de blesser ? Comment assumer de « dévoiler » pour dénoncer le patriarcat, si c’est prendre le risque de mettre à nu ses victimes ? Quelles ressources sont mobilisées pour prendre soin du lectorat, lorsque le risque de l’agression est inhérent à la démarche d’écriture elle-même ?
Archaos ou le jardin étincelant, publié par Christiane Rochefort en 1972, offre un exemple de réflexion à la fois féministe et littéraire sur le droit d’une époque. Certains passages, qui se présentent comme d’assez innocents et légers exercices de pensée sur la vie d’une Cité – ainsi celui qui évoque la crise connue par le viol, lors du changement de régime législatif du royaume –, portent la marque d’une réflexion serrée sur le système définissant en droit, à son époque, viol et consentement. C’est une réflexion « à double tranchant » : faut-il se décider à sortir les couteaux ?
À partir d’un exposé sur ce que peuvent signifier « différentialisme » et « matérialisme » dans le contexte français des années 1970, la séance s’intéressait à quelques manifestations esthétiques du matérialisme (chez diverses autrices : Monique Wittig, mais également France Théoret ou Madeleine Gagnon). Certains traits stylistiques peuvent être repérés (on croise des figures de soustraction, de distanciation, d’énallages, par exemple), dont la signification esthétique s’ancre à la fois dans des épistémologies post-marxistes et existentialistes, et féministes.
Je présente les questions méthodologiques et épistémologiques attenantes à mes recherches post-doctorales portant sur l’espace francophone de la cause des femmes entre 1969 et 1998. La question du « point de vue de nulle part » y est centrale : c’est une réflexion sur le point de vue et sur l’espace (celui des femmes, celui de la francophonie : du « nulle part » et du « partout »). Il s’agit aussi d’un projet sur « grands corpus », qui porte d’amples enjeux théoriques et méthodologiques, et qui oblige à se défaire de la notion de « féminisme », autant que de celle de « réseaux », qui ont structuré mes travaux de thèse.
À partir d’une présentation du travail mené en thèse ainsi que dans Écrire à l’encre violette, une réflexion sur les liens entre histoire et théorie littéraire. Retracer des généalogies mal vues, faire sortir certains noms ou certains groupes d’une relative marginalité, est-ce écrire un « nouveau récit » de l’histoire littéraire ? Lorsqu’on propose de tailler une nouvelle « tranche » dans l’histoire du XXe siècle, comment articule-t-on recherche de noms ou lignées « oubliées », et travail conceptuel substantiel sur ce qu’est l’histoire littéraire ?
Au cours des années 1969-1985, d’inédites politiques féministes de la littérature naissent, structurées par une interrogation renouvelée sur la dimension adressée de la littérature : lorsqu’« on » écrit, qui parle exactement, et à qui ? Dans l’espace de la cause des femmes, un rapport de complicité « entre femmes » se met en place : le rapport d’adresse se spécialise au féminin et place les hommes à la marge de son programme. Cette non-mixité littéraire est-elle inclusive, ou exclusive ? Transforme-t-elle le sens démocratique que l’on peut donner à la littérature ? Que donne-t-elle à voir ?
L’enjeu de cette séance était de présenter le travail collectivement accompli dans Écrire à l’encre violette, sous l’angle de l’examen des choix méthodologiques opérés, de leurs réussites et des manques qu’ils ont aussi révélés. Notre position était double : en même temps que nous affirmions qu’il existait bien quelque chose que l’on pouvait nommer, en universitaires, « littérature lesbienne » ou, a minima, que l’on pouvait interroger à partir de cet angle, nous expliquions aussi que cette affirmation ne relevait en rien de l’évidence, posant des problèmes épistémologiques et littéraires certains.
L’intervention présentait un panorama des gestes d’écriture utopiques opérés par les écrivaines des années 1970. Les utopies du MLF ressemblent à des épopées, à de grands délires chaotiques, à des romans comiques, à de la science fiction, à de nouveaux types de « fureur » poétique : à tout, sauf à des utopies au sens traditionnel. Le jeu mené par les écrivaines avec leur propre héritage littéraire est permanent.
L’engagement littéraire féministe de la génération 1970 est à la fois un « tunnel d’abstraction idéologique » – un grand moment de développement avant-gardiste −, et une autre de ces « passerelles » aussi qui, d’un point de vue critique et de manière paradoxale, apparaissent tout en étant escamotées dans les histoires littéraires. Le féminisme représente ainsi le « déficit d’image » caractéristique des années 1970, souffrant en outre lui aussi d’un décalage marqué entre ce qui est dit et imaginé de son histoire, et la réalité des textes vraiment publiés et lus à l’époque.
Chez Maryvonne Lapouge-Pettorelli, au tournant des années 1970-1980, la question de la relation porte le double sens d’un rapport − sororal, amical, amoureux, lesbien − et d’un récit. Elle est liée au contexte même de l’écriture, médiée tantôt par un époux violent et par un régime de soumission sexuelle, tantôt par une amante et un espoir de libération lesbienne. Il s’agit, pour l’écrivaine, de devenir écrivaine, de « relater » et « relationner » à son tour en inventant une éthique de l’écriture lesbienne.
Des écrivaines de la cause des femmes de l’espace francophone, au cours des années 1970-1980, ont théorisé l’utopie à l’articulation de questions littéraires, philosophiques et politiques, d’héritage souvent matérialiste. La réflexion se penche ici – à partir de textes belges, québécois et français – sur les concepts de « réel », de « plus réel » et de « littéral », nœuds fréquents de ces réflexions utopistes. Elles peuvent apparaître comme de proches parentes de phénomènes nommés « irréalistes » par Michaël Löwy puis par le Warwick Research Collective – c’est en tout cas l’hypothèse que j’examine.
Le premier ouvrage de l’autrice vietnamienne Thu Hương Dương, Les Paradis aveugles, a un parcours éditorial français intéressant du point de vue de l’examen de la cause littéraire des femmes. Publié en 1991 aux éditions des femmes, au moment où l’autrice est exilée, pour des raisons politiques, de son pays d’origine, le roman pose des questions qui, sans être frontalement et nommément féministes, interrogent la situation de femmes vietnamiennes de différentes générations. Son statut éditorial lui-même met en évidence la question d’une solidarité internationale de type féministe.
Si des écrivaines belges et suisses intègrent en partie le réseau féministe francophone transatlantique des années 1970, elles restent, d’une certaine manière, à sa marge. Claire Lejeune, Françoise Collin, par exemple, intègrent pleinement cet espace, mais sans bénéficier de réseaux d’une densité comparable du côté de la Belgique ; Grisélidis Réal est marginalisée, en Suisse comme en France en réalité, en raison de son travail sur la prostitution. Cette communication revient ainsi sur ce phénomène de minoration qui se produit à la marge d’un espace francophone lui-même construit dans une marge.
L’arme, chez Wittig, est une énigme. Elle est un objet récurrent du récit (épées, fusils et couteaux des Guérillères, fusils et laser que manie Wittig dans Virgile, non, agrafes, arcs, boucliers, ceintures, haches à double tranchant du Brouillon, etc.). L’arme est en même temps un signe qui dépasse et problématise le traitement narratif de l’objet (symbole lesbien, dans le cas du labrys ; indice d’une active confusion des genres, dans le cas du rayon laser). Elle est aussi bien le nom d’un dispositif littéraire global exprimant le rejet des codes interprétatifs traditionnels, à la fois menaçant et amical : celui du Cheval de Troie.
Journée d’études destinée à un public d’historien·nes, centrée sur le thème de l’invisibilisation des femmes ; sur invitation de Sylvie Brodziak, notre intervention visait à rendre compte du travail effectué dans Écrire à l’encre violette quant aux enjeux et modalités spécifiques de l’histoire littéraire et de l’histoire des minorités sexuelles en France.
« Il nous faudra imaginer une mémoire offensive ayant la force d’explosion et de projection d’une arme nucléaire capable de briser les préjugés millénaires » : telle est la proposition de l’écrivaine Louky Bersianik en 1982. Elle rend compte d’une réflexion partagée par un certain nombre d’autrices, sur le concept de « mémoire ». Leurs textes peignent l’utopie, la terreur, la volonté de « briser » une culture patriarcale délétère, tout en souhaitant refonder l’humanisme, clamant surtout « mort à la Mort ! » pour reposer les bases d’un monde meilleur, situé à mi-chemin de l’utopie et de la dystopie.
Direction d’un panel intitulé « La littérature lesbienne ? Ça n’existe pas. Ça ne fait pas un objet d’étude ». Christine Delphy raconte la réponse de Bourdieu à sa question de jeune doctorante, au milieu des années 1960 : pouvait-elle travailler sur les femmes ? « Mais non, ça n’existe pas. Personne ne travaille sur les femmes ». Soixante ans plus tard, s’intéresser aux « lesbienne[s] de papier » suscite des réactions similaires. « Ça n’existe pas » : trop peu de noms (croit-on). « Ça n’est pas un objet d’étude » : crainte d’une fétichisation, d’une absence de question de recherche.
Communication intégrée au panel organisé par Audrey Lasserre, « Le féminisme : cause et principe littéraires au XXe siècle ». L’oubli du féminisme dans l’histoire littéraire du XXe siècle a eu une incidence forte sur les caractérisations de l’engagement qui ont été élaborées depuis – dont le déplacement de la notion hors du politique n’est pas des moindres. L’étude des littératures féministes force à remettre en question certains nœuds conceptuels de l’engagement : ses liens avec les notions d’universalité, d’auctorialité et d’interpellation en particulier.
En juillet 1970, un « Groupe de femmes » prend la direction de la revue Partisans publiée par Maspero : à l’origine du numéro qui, historiquement, a initié le Mouvement de libération des femmes en France, très diversement engagées dans l’espace de la cause des femmes, elles partagent une même question sur le sens et la légitimité de leurs engagements. On voit alors que construire la légitimité sociale des femmes passe par la construction de leur légitimité littéraire.
Les écrivaines féministes des années 1970 se sont presque toutes positionnées par rapport à la question (littéraire) du lesbianisme. Louky Bersianik met en scène, dans ses textes, une sororité féminine tentée par le lesbianisme, en mobilisant les ressources polyphoniques du roman, en croisant les points de vue de différentes femmes sur leur sexualité. Nicole Brossard prend, quant à elle, l’amour entre femmes, pour point de départ biographique et philosophique de l’écriture ; elle œuvre à tordre la langue et la mémoire collective des textes.
Voir un sommaire (sélectif) dans l'onglet dédié : questions numériques, questions méthodologiques, présentations de corpus, divers.